Il y a bien longtemps, en 1985 exactement, je suis allé en vacances à la Martinique. C’était mon premier contact avec la culture noire. Contact bref, forcément superficiel en si peu de temps de congés, j’ai (presque) oublié les plages enchanteresses qui longent l’océan atlantique et la mer des caraïbes, la douceur des parfums de « l’île aux fleurs » pour me souvenir, mais aujourd’hui seulement, d’autres lieux.
Cette année là Aimé Césaire était toujours député-maire de la ville et avant lui fut, de 1848 à 1850 député de la Martinique et de la Guadeloupe, un certain Victor Schoelcher.
Né à Paris en 1804 dans une riche famille alsacienne et protestante, fabricante de porcelaine, c’est au retour d’un voyage aux Amériques où il était envoyé par son père pour y prospecter de nouveaux marchés que Victor Schoelcher découvre à Cuba les horreurs de la condition d’esclave.
Rallié très tôt aux idéaux de gauche il ne cessera désormais de dénoncer parfois avec virulence la cruauté des planteurs dans l’exploitation de cette main-d’œuvre.
En 1844 il effectue un voyage en Turquie et en Egypte et 1847 un autre qui le mène au Sénégal -avec en particulier la visite de l’île de Gorée- et en Gambie. L’objectif des ces voyages étant de « étudier l’esclavage musulman pour le comparer à l’esclavage chrétien » Schoelcher publie en 1880 « L‘esclavage au Sénégal ».
L’esclavage on le sait avait été aboli pendant la révolution, le 4 février 1794 à l’initiative de l’Abbé Grégoire mais rétabli par Napoléon1er le 20 mars 1802 sous la néfaste influence de Joséphine Tasher de la Pagerie, indolente et très belle créole martiniquaise devenue Joséphine de Beauharnais.
Et il a fallut attendre le 27 avril 1848 pour que soit enfin signé le fameux traité sur l’abolition de l’esclavage, traité signé par Alphonse de Lamartine, ministre des Affaires Etrangères et très largement initié par Victor Schoelcher alors secrétaire d’Etat à la marine et aux colonies.
N’ayant jamais été marié et sans enfant il fit don avant sa mort en 1893 à la Martinique, des 10 000 ouvrages de sa bibliothèque personnelle. Le bâtiment chargé de les accueillir fut d’abord présenté à Paris à l’exposition universelle de 1889 et transporté par bateau jusqu’à la Martinique. Pendant la re-construction, les livres de Schoelcher étaient entreposés dans un immeuble à proximité. Nombreux furent ceux qui ont été volés et la quasi-totalité de cette collection disparut dans l’incendie de 1890 qui ravagea Fort-de-France.
Les cendres de l’infatigable abolitionniste reposent au Panthéon depuis le 20 mai 1949, et le 10 mai 1981 François Mitterrand déposa sur sa tombe, une rose.
la statue de Schoelcher à Fort-de-France
Quittons nous pour aujourd’hui sur ce poème de Léopold Sedar Senghor dans « poèmes perdus ».
A une antillaise
Princières tes mains sous les chaînes,
Aérienne ta grâce légère,
Plus fine, plus fière la cambrure de tes reins.
Le soleil qui viole les mornes rouges,
Le soleil, qui enivre de sueur chaque heure
Des quinze heures qui te rivent au sol chaque jour,
Mûrit ton cœur riche de sucs
Pour les combats conscients du futur.
Et penché une fois au bord de tes yeux
Ouverts comme des palais ombreux, j’ai vu
Surgir la fierté triomphante des vieux Guélwars.