Parmi les joyeusetés imaginées par les organisateurs de l’année « 2010 année de l’Afrique » il y aura un temps fort ai-je lu.
Présenté comme une reconnaissance de leur engagement au service de la France, un hommage appuyé à la mémoire de leurs morts les Tirailleurs sénégalais devraient défiler sur les champs Elysées le 14 juillet de cette année.
Quelle nouveauté !
Voici la dépêche de l’AFP qui nous en informe :
" PARIS (AFP) Le secrétaire d'Etat français à la Défense et aux Anciens combattants Hubert Falco a annoncé mardi que les troupes des anciennes colonies africaines de la France ouvriront le défilé du 14 juillet 2010 sur les Champs-Elysées, cinquante ans après leur indépendance.
"Cinquante ans après les indépendances, le président de la République (Nicolas Sarkozy) a invité nos partenaires africains à ouvrir le défilé militaire", a déclaré M. Falco.
Le secrétaire d'Etat lançait au musée des Invalides "Force Noire - Tirailleurs 2010", un cycle d'hommage aux anciens combattants africains et malgaches.
Selon lui, "la présence de détachements des forces armées africaines sur les Champs-Elysées, leur défilé devant leurs aînés, anciens combattants de l'armée française, sera une image forte de cette année 2010".
"Pendant cent ans, depuis la création des premiers corps de Tirailleurs sénégalais par Napoléon III en 1857 jusqu'aux années 1960, ils ont servi la France avec loyauté, courage, abnégation", a souligné M. Falco.
La Force noire, a-t-il rappelé, était le nom donné par le général Charles Mangin (1866-1925) aux troupes coloniales, celui "d'une fidélité, celle portée à la France par des milliers de tirailleurs africains" venus de Mauritanie, du Sénégal, du Mali, de Guinée, de Côte-d'Ivoire, du Niger, du Burkina Faso ou du Bénin.
"L'Afrique et la France ont une mémoire commune (...) les tirailleurs sénégalais ont écrit des pages entières de l'histoire de France", a encore rappelé M. Falco. "
Donc défilé comme au bon vieux temps.
J’ai retrouvé quelques anciennes cartes postales d’un 14 juillet à Dakar. Elles ne sont pas datées mais les clichés ont été évidemment pris pendant la présence française au Sénégal.
A part les uniformes et un peu plus de modernité on voit bien qu'il n'y aura pas grand chose de nouveau cette année sous le soleil de notre fête nationale.
Bis repetitas
Rien de nouveau c'est le moins que l'on puisse dire car nous avons aussi dans le passé organisé des journées à la gloire de notre noire chair à canon.
Cette reconnaissance là n’ira cependant pas jusqu’à rattraper les arriérés des retraites et pensions que les tirailleurs seraient en droit d’exiger. Il y a des limites à notre mansuétude.
Revenons un peu sur cette affaire des pensions.
La loi de finance du 26 décembre 1959 décide le gel des retraites et pensions d'invalidité des combattants étrangers. Cette disposition, dite loi de cristallisation a habillé cette mesure économique de considérations morales: geler le niveau de la retraite à la date de l'indépendance marque de manière symbolique la scission avec la métropole. Argument scandaleusement fallacieux car il masque le fait que ces anciens combattants avaient servi leur colonisateur et non pas leur pays d'origine.
Cette rémunération était déja dés l'origine très nettement inférieure à celle d'un ancien combattant français et blanc: quand le français perçoit 600 euros mensuels, le sénégalais en perçoit 100 ! Une vie noire vaut donc six fois moins qu'une vie blanche.
Certes 2006 a vu l'abandon de la loi de cristallisation et une revalorisation effective des pensions à partir du 1er janvier 2007. Une revalorisation à minima cependant car elle ne porte que sur de faibles montants: 450 euros - par an - pour la retraite du combattant à taux plein et 700 euros - par an - pour pension d'invalidité à taux plein. Toutes les autres prestations ne sont pas concernées par ce dispositif en particulier les pensions civiles et militaires et les pensions de reversion.
Nicolas Sarkozy annoncera t il dans le traditionnel discours de la garden-party de l'Elysée un geste significatif en faveur de nos anciens combattants étrangers ?
Il est permis d'en douter.
Vous voyez donc bien que nos dirigeants font preuve pour "2010 année de l'Afrique" d'une imagination sans limite, d'une créativité sans faille au service de notre complexe de supériorité, d'un néo-colonialisme inavoué, d'un racisme à peine voilé, d'une générosité d'état de crise (d'ailleurs dans l'affaire des pensions nous avons toujours été en crise économique, c'est pratique comme argument !) qui supposent un souverain mépris pour nos frères, nos frères comme nous pourtant, d'armes de larmes et de sang, mais eux, comme il s'agit de sang noir...
Cette triste mascarade me fait infailliblement penser à la célèbre et très lucide phrase du Prince Salina dans « le guépard » alors que l’aristocratie sicilienne vit ses derniers éclats : « il faut que tout change pour que rien ne change ».
C’est très exactement ce que fait la France avec ses anciennes colonies qui a bien compris qu’il fallait que tout change en apparence pour qu’en définitive rien ne change. En apparence tout a changé, ces pays sont indépendants – sur le papier il s’entend - mais sur le fond, rien, absolument rien n’a changé.
Voici le douloureux cri de Léopold Sedar Senghor encore lourd d'actualité dans « poème liminaire » le premier poème de « HOSTIES NOIRES » :
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main
chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux
Généraux
Je ne laisserai pas – non ! – les louanges de mépris
vous enterrez furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans
honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs
de France.
Car les poètes chantaient les fleurs artificielles des nuits
de Montparnasse
Ils chantaient la nonchalance des chalands sur les
canaux de moire et de simarre
Ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuber-
culeux
Car les poètes chantaient les rêves des clochards sous
l’élégance des ponts blancs
Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n’était
pas sérieux, votre peau noire pas classique.
Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France – je ne
suis pas la France, je le sais –
Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré
ses mains
A écrit la fraternité sur la première page de ses
monuments
Qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté
A tous les peuples de la terre conviés solennellement
au festin catholique.
Ah ! ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette
bombe
Dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de
la brousse ?
Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre à
pierre ?
.../...
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
votre frère de sang
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main
chaude, couchés sous la glace et la mort ?
Paris, avril 1940