palabre à Bata - Centrafrique
Le temps d'être je veux dire. A quelques jours de mon retour en France saurais-je garder ce temps ? Oh ! le temps de vivre, je l'aurai, le temps d'être, c'est moins sûr.
Voici un article que j'avais publié il y a quelque temps sur le temps d' être.
LE TEMPS D'ETRE
On pourrait presque mettre en opposition le temps de vivre et le temps d’être.
La recherche du temps de vivre est une quête occidentale qui laisse à deviner que moins on a ce temps là, plus on court après.
On court après de manière assez comique si elle n’était dans certains cas, pathétique. Par exemple après sa journée de travail on se précipite à son club de gym, son cercle de bridge, ou toute autre activité supposée relaxante, avant de rentrer rapidement à la maison, coucher les enfants, car ce soir un couple d’amis vient dîner. Vers minuit on se couche, après avoir pris ce soir là, croit on, le temps de vivre. Le temps de vivre mais à la vitesse d’une organisation minutée, linéaire. séquentielle.
Cependant l’exemple le plus caractéristique de cette quête est le temps des vacances estivales, qui est le reflet de notre course effrénée au temps de vivre.
Il suffit de voir l’ensemble des médias, télévision et couvertures de magazines s’emparer tous les ans de l’information. Dans une accélération vertigineuse du temps il faut impérativement profiter, vite, de ce temps comme si le reste de l’année nous ne vivions pas ou mal.
Plus étrange encore, pour les plus fortunés d’entre nous nous partons une semaine ou dix jours à l’autre bout du monde dans cet espace de tension extrême qu’est le tourisme, (cf: le tourisme ) pour prendre bien entendu le temps de vivre : vingt quatre heures d’avion, des visites au pas de marathonien, quelques souvenirs, des photos…Nous avons pris le temps de vivre.
Une semaine.
Comme si le reste du temps n’était pas un temps de vivre.
Plus que celui du temps de vivre, l’Afrique est celui du temps d’être.
La question du temps de vivre ne se pose d’ailleurs pas, le temps d’être, est. On a toujours en ville ou au village ce temps d’être - ou si vous préférez ce que l’occident appelle un peu désespérément le « temps de vivre » - donnée immuable depuis la nuit des temps.
L’élasticité de son temps, son mode circulaire, nous font croire que les africains sont des paresseux, mais en fait l’ensemble de la vie, les petits et grands événements qui la rythment : la naissance, le mariage, la mort, les rituels des passages aux différents états, enfance, adolescence, adulte, le travail aux champs, à la ville, les palabres, sont indissociables du temps consacré à la spiritualité - tout est lié - donc au temps d'être.
C’est dans ce temps que l’on se ressource aux fondamentaux de celle-ci. Tout temps est temps d’être, c’est Dieu qui a fait le temps, vouloir en accélérer le déroulement est s’éloigner de la quête de la spiritualité, attitude impensable pour un africain qui serait vécue comme proche du péché originel.
Nous pourrions dans notre agitation fébrile, dans notre recherche incessante et quelque part mortifère de temps et par là-même de satisfactions exagérément matérielles - les deux sont liés -en tirer quelques enseignements.
Anne-Cécile Robert alors journaliste au Monde Diplomatique écrivait en 2005 :
« L’Afrique exprime des valeurs et des mentalités « autres » qui pourraient rendre service à un monde au bord du gouffre. Car la bataille pour la diversité culturelle - dont le continent noir constitue un de symboles les plus forts - représente en réalité une bataille pour la survie de l’humanité toute entière ».
au petit matin à Bata - Centrafrique