C'est au cours de ma mission en Centrafrique qu'un terrible fait divers m'avait amené à réfléchir sur la tolérance et sur les limites de celle-ci. Le sujet n'est pas facile, voici ce que j'avais écrit à cette époque. Je n'en retire rien, cet article propose juste une piste de réflexion.
Mars 2007
Chronique N°13
LES FRONTIERES DE LA TOLERANCE
L’accusation de sorcellerie et son corollaire, la punition, sont inscrits dans le code pénal centrafricain comme étant un délit et à ce titre, sanctionnés.
Nous allons voir qu’entre la loi et la tradition le chemin est encore bien long.
Nous avons appris il y a peu qu’une fillette de 9 ans avait été accusée de sorcellerie. Les habitants de son quartier, nous sommes à Bangui, l’ont forcée à boire de l’essence, aspergée d’essence et y ont mis le feu, la gamine est morte carbonisée.
Peu de temps après se tenait dans le pays une réunion sur les droits de l’enfant. Participaient à cette réunion, juristes, responsables des droits de l’homme, services publics. Le cas de la fillette a été soulevé. Les participants ont tous vigoureusement protesté contre cet acte abominable, mais pas pour les raisons que vous imaginez.
Ils ont considéré qu’il y avait eu erreur sur la personne car en fait c’est la grand-mère qui aurait du être brûlée vive et non l’enfant ! Pour quelles raisons ? Je n’en ai pas la moindre idée mais telles furent leurs conclusions. Une chose est sûre, il fallait de toute manière brûler quelqu’un, indispensable exorcisme, et au-delà de l’horreur ceci doit nous interpeller.
Une question se pose : où se situe la limite de l’acceptation de la culture de l’autre ?
Au nom de l’intangible respect de l’existence d’autres territoires culturels que les nôtres doit-on laisser se perpétrer le type de crime décrit plus haut ?
Ma réponse est clairement et sans appel, non.
Mais en disant cela, je prends le terrible risque d’accepter non seulement la présence mais aussi la nécessaire définition d’une limite à ne pas franchir. Je reconnais la quasi-obligation d’établir un périmètre au-delà duquel les manifestations des traditions qui ne sont pas les miennes seront interdites car contraires à ma morale et à l’idée que je me fais du respect de la vie.
Et c’est bien là que le vrai danger se situe.
Car ma frontière ne sera pas évidemment celle de mon voisin de droite, qui se trouve être, c’est un hasard, un très brillant et très convaincant théoricien de la supériorité de la race blanche sur la race noire. Ni celle de mon voisin de gauche qui affiche bruyamment son anti-racisme tout en manifestant dans les actes quotidiens un ethnocentrisme conquérant.
On imagine aisément ce que l’attitude de mes voisins, reprise par une certaine caste politique et en utilisant le cas cité plus haut, pourrait avoir de dramatique si elle se concrétisait en lois ou décrets.
Malgré ce risque, qui peut être incontrôlable et que je mesure à son juste poids, il est cependant prudent et courageux d’admettre des frontières à la tolérance sans qu’il faille pour autant en dessiner les contours, et ceci d’autant moins que « l’Afrique est inscrite sur nos cartes comme un point d’interrogation géant au flanc du vieux monde » (J. Weurlesse)
Les questions posées par l’Afrique nous renvoient à nos propres interrogations, à nos propres peurs, un peu comme celles que nous éprouvions quand, enfant, la porte de la chambre à l’heure de se coucher se refermait sur le noir.
piste en Centrafrique