PARTIR
Aimer prendre un avion un matin glacial d’hiver pour une mission lointaine et longue
c’est mettre sa culture en bandoulière et prendre le risque de se perdre.
Perdre ses repères pour retrouver, au bout du compte, les essentiels.
Mais auparavant il faut accepter les mystères de l’inconnu, ses troubles
et ses dangers,
d’autres intelligences, d’autres cœurs, d’autres bontés, d’autres beautés.
Accepter de ne presque rien savoir des faits et gestes,
des paroles de ceux que l’on aime.
Savoir partir le cœur léger malgré les séparations, tout laisser sans rien laisser.
C’est aussi assister au spectacle de la pauvreté, impuissant.
Chercher d’autres demains, s’approcher des autres, doucement.
Aimer les soirs incertains dans une capitale inconnue, les aubes douteuses...
Préférer les flottements de l’âme aux certitudes du savoir.
Croiser le regard d’un enfant pauvre de la brousse ou celui hautain
d’une femme peulh.
Aimer les horizons qui reculent et les faire reculer si besoin est.
C’est savoir que l’on ne rentre jamais indemne d’absences au long cours.
Revenir sans jamais vraiment revenir, prendre le risque de devoir repartir, vouloir rester et partir.
Partir c’est accepter les points de non-retour.
(texte de Dominique Baumont)
Une première en rêve, en imagination,
au ras des cartes.
Une deuxième le long des routes,
dans des bus rapiécés,
dans des gares en attente
d’hypothétiques trains,
dans des hôtels douteux ou des jardins radieux.
Enfin une troisième et interminable en souvenir,
dans la présence d’instants
qui vous constituent désormais
et que rien n’y personne ne peut effacer.
Elisabeth FOCH - Journaliste française - Prix Nadal 1990
Matin à Kikwit. Bandundu. RDC
La promesse d'une expérience de
Volontariat Solidaire réussie.
Musique de Zaz "On ira"
Vidéo de Ion Eminescu
Chargé de communication à la DCC
Il y a pire que
le bruit des bottes,
il y a le silence des pantoufles.
Max Frisch
Mai 2007
MANASAO
Ne cherchez pas Manasao sur une carte de Centrafrique, vous ne trouverez pas. Dirigez plutôt votre regard vers le sud. A Nola vous apercevrez sur la droite une petite savane au coeur de la forêt équatoriale. Manasao se situe dans la moitié nord.
Deux communautés vivent dans ce village. D’une part ceux que l’on nomme « les villageois », les grands noirs, et d’autre part les pygmées, population mythique s’il en est dont la culture, classée patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO, tend à disparaître.
Les pygmées ont toujours été méprisés par les villageois dont ils sont les serviteurs voire les esclaves. Ils sont un peuple pacifique, vivant de cueillette et de chasse dans la forêt, leur royaume où un drame silencieux se joue.
« Nous attirons l’attention sur les graves problèmes de l’expulsion forcée et systématique des peuples autochtones de leurs terres et territoires lors de la création des concessions forestières et des aires protégées ».
C’est l’une des phrases prononcées au cours du premier « Forum international des populations autochtones des forêts d’Afrique Centrale » qui s’est ouvert le 10 avril 2007 au Congo Brazzaville, à Impfondo précisément, une des étapes d’André Gide dans Voyage au Congo.
Les pygmées, ou akas, « refusent catégoriquement toute politique sur les forêts qui promeut la discrimination, l’exclusion et l’expulsion des peuples autochtones de leurs territoires, entraînant ainsi leur appauvrissement ».
Au nombre de 250 000 environ dans cette sous-région, ils s’estiment « détenteurs de droits légitimes » et exhortent les Etats d’Afrique Centrale à reconnaître « les droits ancestraux et coutumiers sur leurs terres, forêts et ressources naturelles ». Ils demandent à être acteurs du Plan de convergence de la Commission des forêts d’Afrique Centrale (Comifac), et veulent que soit favorisée leur « représentation dans les institutions nationales, comme les parlements, [et que soit adoptée] la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ».
Mais malheureusement ceci ne suffit pas car l’isolement des pygmées est aggravée par l’indifférence de l’opinion publique. On lit même des énormités. Un article, paru dans « Le Monde » il y a un an, affirmait que les pygmées sont les « prédateurs » de leur environnement. Quelle incompétence ! Les vrais et seuls prédateurs
sont les grands exploitants, et il suffit pour s’en convaincre de prendre la piste du 4ème parallèle entre Nola et Boda pour observer les blessures irrémédiables causées à la forêt par ces entreprises.
A ce propos, la petite savane au coeur de la forêt équatoriale, au sud, à droite de Nola, - vous vous souvenez ? - n’a rien de naturel, elle est même très exactement le résultat de la voracité des exploitants forestiers, qui repoussent inlassablement les akas aux confins de leur culture agonisante.
Les représentants de cette minorité ethnique, du Gabon, du Cameroun, de la RCA, du Burundi, de la RDC, de l’Ouganda et du Congo, n’hésitent pas à parler de « génocide culturel ».
Et l’on pourrait ajouter, dans « ce silence qui empire de minute en minute ». (Saint-Exupéry – Terre des hommes).
Mai 2007
L’HUMOUR AFRICAIN
Les ouvrages sur l’Afrique traitent rarement de l’humour ai-je lu. C’est bien dommage, parce que d’une part il existe, et d’autre part il est un véhicule qui, derrière les sourires qu’il fait naître, nous en apprend beaucoup sur la profonde sagesse des noirs. Il y a eu, et il y a encore des griots (conteurs) souvent regroupés en associations humoristiques, spécialisés dans ce genre littéraire et qui s’exprime en Afrique sous forme de sentences ou de contes.
La très fine définition de Filly Dabo Sissoko « une constante de l’esprit dans la discrimination de ses rapports entre soi et autrui ; d’où son universalité » nous rappelle que l’humour n’est le privilège de personne, qu’il appartient à toutes les cultures où la contribution du monde noir n’est pas des moindres.
Voici quelques exemples relevés dans le numéro spécial (8-9) de Présence Africaine, « Le monde noir », dirigé par Théodore Monod.
La hyène et piroguier.
C’est le crépuscule. La nuit avance à grands pas. La hyène, pressée, demande à un piroguier de bien vouloir venir à son secours.
- Qui es-tu tout d’abord ?
- Si je te dis mon nom, je risque de passer la nuit sur cette rive.
La hyène et le lion.
Le lion a réuni les animaux pour délibérer d’une succession où chacun avait sa part.
- La hyène : je demande que la fuite ne soit pas comprise dans le partage.
- La foule : et pourquoi ?
- La hyène : elle servira, un jour, à qui en aura besoin.
La hyène et le bouc.
Un matin, au fond d’une vallée le bouc se voit subitement face à face avec une hyène attardée.
- Où vas-tu frère bouc ?
- Je vais en pèlerinage et je bénirai ta famille.
- C’est chose faite et ton pèlerinage est à son terme.
Le singe vert et les chiens.
Des chiens ont poursuivi un singe vert. Il leur a échappé et a grimpé sur un arbre. Parvenu au faîte, il contemple le soleil couchant.
- Le monde est bien agité aujourd’hui, dit-il, mais c’est moi qui ai la plus grande part à mes pieds.
Madi-Kaman et le cavalier
Madi-Kaman rencontre un cavalier et, pour l’embarrasser, lui pose cette question :
- L’étape que vous venez de franchir est-elle longue ?
- Je n’en sais rien, étant resté assis à ma place en selle depuis ce matin.
Du temps - De l’espace - De la mort
- Que faut-il penser de la succession des jours et des nuits ?
- La succession des jours et des nuits nous offre l’image de la vie et de la mort. Les hommes intelligents préparent la nuit pendant le jour.
- Toi qui sais tout Madi-Kaman, à combien de pieds peut-on évaluer la distance de la terre à la lune, aux
étoiles ?
- La distance de la terre à la lune s’arrête à la limite de la pensée.
- Pourquoi Madi-Kaman, dit-on des enfants qui meurent au berceau qu’ils sont plus âgés que leurs parents ?
- C’est que ces enfants ont une plus longue éternité devant eux.
De Madi-Kaman.
- Tu as réponse à tout Madi-Kaman ; mais dis nous ce que tu penses de toi-même ?
- Madi-Kaman pense qu’il aura vécu comme le commun des mortels et qu’il s’est arrangé pour ne jamais s’ennuyer.
En quittant Bangassou pour Bangui, un petit air triste de fin de quelque chose déjà nous enveloppe.
Nous roulons tranquillement quand un fort bruit venant de l’arrière nous surprend : c’est Baas aux commandes de l’avion de la mission qui, nous sachant sur cette piste, cherchait à nous saluer. Repassant à basse altitude et de face, nous sortons alors prestement faisant de grands signes des bras et criant gaiement « Bonjour Baas ! ». Si avec cela il ne nous a pas entendu !
Jolie rencontre et beau témoignage d’amitié entre le ciel et la terre.