Sujet particulièrement sensible et difficile que je voudrais aborder aujourd’hui. Sujet sur lequel on a pu lire ou dire tout et son contraire, tout et n’importe quoi. Sujet qui enflamme les esprits occidentaux – surtout les esprits féminins concernant l’excision – avec une connaissance souvent inexistante de l’histoire du phénomène. Curieusement la circoncision ne trouble personne, homme ou femme, les deux procèdent pourtant de la même intention comme nous allons le voir.
En tentant de comprendre ces pratiques qui durent depuis des millénaires soyons clairs, il ne s’agit en aucun cas de les excuser encore moins de les réhabiliter dans les contrées où elles ont disparu. Mais si nous voulons développer un argumentaire crédible auprès des populations qui les pratiquent encore ce n’est pas en poussant des cris d’orfraie horrifiés, parfaitement velléitaires et inutiles, que l’on pourra à terme éradiquer ces ablations. C’est au contraire en essayant de réfléchir à ce qui les sous-tend et justifie leur persistance dans les sociétés africaines, en essayant de comprendre les ressorts profonds et profondément mystiques qui les induits que l’on pourra être entendu et notre discours suivi d’effet. La position le plus souvent en cours, le rejet tranché et ethnocentrique nous mène à l’objectif très exactement inverse de celui recherché, nous mène à un blocage culturel sans aucune efficacité.
Je vais donc laisser la parole au grand ethnologue et africaniste français Dominique ZAHAN (1915-1991) cité par Alassane NDAW (Sénégal) dans « LA PENSEE AFRICAINE – recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine ».
« Dominique Zahan considère la personne Bambara (ethnie de la boucle du Niger) selon deux aspects, ou deux moments de sa vie : avant et après la circoncision.
Avant la circoncision, l’homme est considéré comme androgyne. A sa naissance, il est pourvu de quatre principes spirituels théoriquement distincts du corps, soit deux âmes : ni, et deux doubles : dya. Une âme et un double sont censés demeurer dans le prépuce s’il s’agit d’un garçon, dans le clitoris s’il s’agit d’une fille. L’autre âme et l’autre double habitent le reste du corps.
Avant la circoncision ou l’excision, la personne a, en quelque sorte, une double personnalité. L’une, qui pourrait être qualifiée de globale, est formée par l’ensemble des quatre éléments, tandis que l’autre est la personnalité proprement sociale, qui n’est pas actualisée avant la circoncision. Elle est, d’une certaine manière, virtuellement contenue dans la personne totale.
Au moment de la circoncision, on retranche, avec l’ablation du prépuce chez les mâles et l’ablation du clitoris chez les femmes, un ni et un dya à l’être humain. Par le fait même, on actualise et on met en valeur sa personnalité sociale. Le prépuce, pour les bambaras, en effet, est un organe femelle, tandis que le clitoris est mâle. Après la circoncision et l’excision, l’être humain perd donc son androgynéité, acquérant la mono-sexualité, indispensable à l’exercice de son rôle social. Abandonnant sa bivalence sexuelle, l’homme prend de la valeur dans la société où il vit.
On peut donc en déduire que la conséquence de la perte de l’androgynéité est une sorte de nostalgie de l’unité primordiale. Car l’être épousé plus tard, qui n’est pas du même sexe, est toujours « extérieur ». L’être humain ne pourra donc retrouver l’unité primordiale qu’en s’unissant à la Divinité. »