Léoplod Sedar Senghor dans
« les élégies majeures »
Joie de la délivrance !
D’échapper aux ventouses des humidités primordiales,
Et des chaleurs des humeurs, du sang du sperme.
Joie de la liberté !
Comme le lézard bleu à tête jaune, jouir du soleil bleu
et la fraîcheur des eaux
De la fraîcheur des Alizés la nuit, quand sous les draps
noirs on les entend longuement murmurer alentour
des hautes terrasses.
Je me fortifierai du mil nouveau ; de l’huile vierge, je
m’oindrai le front et les yeux
La bouche. Mais danger de l’âme citerne, qu’on vide
quand les greniers sont dru dressés
Danger d’hiverner pendant la belle saison.
Ma négritude point n'est sommeil de la race mais soleil
de l’âme, ma négritude vue et vie
Ma négritude est truelle à la main, est lance au poing
Récade. Il n’est question de boire de manger l’instant qui passe
Tant pis si le m’attendris sur les roses du Cap-Vert !
Ma tâche est d’éveiller mon peuple aux futurs flam-
boyants
Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô lumières
rythmées de la Parole !
Maintenant que les greniers craquent et que les
taureaux sont lustrés
Maintenant que poissons abondent dans nos eaux, aux
franges des courants marins
Il ferait si bon de dormir sous les Alizés…
Or me voilà tout brillant d’huile comme l’or rouge,
comme le champion du Sine au bout de la saison
Miel dans la voix des jeunes filles – pour les noces du
Printemps on se disputera ses aigrettes.
Je dis noces avec mon peuple, et que je m’y prépare
par la veille et le jeûne.
Non, je ne suis pas prince au bandeau pourpre, pagne
classique, poitrine crucifiée de cauris blancs
Je ne suis pas le guêpier de Nubie le gonolek de
barbarie
Mais combassou du Sénégal, j’ai revêtu ma livrée bise.